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Les bijoux antiques dans les ventes aux enchères parisiennes au XIXe siècle

Les ventes aux enchères parisiennes voient affluer au XIXe siècle quantité d’antiques provenant de collections privées ou de fouilles. Alors que d’autres typologies, comme les terres cuites, verres, vases et bronzes, semblent connaître un fort engouement, les bijoux sont une catégorie peu représentée dans les catalogues de vente d’antiques (environ 10%). Avec un prix d’adjudication moyen de 88 francs, ils se situent largement en-dessous de la moyenne de 205 francs établie sur neuf typologies d’antiques1. Comment expliquer ce manque apparent d’intérêt pour les bijoux antiques dans ces ventes2 ?

Une présence discrète en salle des ventes ?

Vingt-neuf appellations au sein des catalogues de vente renvoient à des bijoux (fig. 1). Les termes utilisés varient fréquemment d’un catalogue à l’autre et ne sont pas figés, conséquence du manque de connaissances scientifiques et de références auxquelles sont confrontés les experts. Ainsi les fibules peuvent être également présentées sous d’autres acceptions : armilla, broche, agrafe…

Figure 1. Nombre de lots par typologie de bijoux répertorié sur vingt-six ventes d’antiques entre 1827 et 19003

Plusieurs historiens de l’art au XXe siècle ont en effet souligné le manque de considération que subissent les bijoux. Étienne Coche de la Ferté par exemple signale :

Les bijoux en or ou d’argent ont joué longtemps un rôle effacé dans l’esprit des amateurs d’antiquités, ils ne sont pas encore tout à fait réhabilités de nos jours4

Longtemps négligés en tant qu’objets d’étude, les bijoux antiques oscillent entre archéologie et art décoratif, ce qui a freiné leur reconnaissance dans les collections avant le XIXe siècle. Les premières études approfondies émergent tardivement avec Eugène de Fontenay (1887)5 et Léon Roger-Milès (1895)6, qui portent un regard historique et ethnographique sur cette typologie encore mal définie. Ce n’est qu’avec l’essor de l’archéologie que leur marché se développe, bien que marqué par une méconnaissance persistante, conduisant parfois à des erreurs d’attribution et à la circulation de faux sur le marché de l’art.

La valeur des bijoux antiques

Les catalogues de vente réservent une place discrète aux bijoux antiques, mentionnés occasionnellement en sous-titres de première page. Il arrive qu’y soit précisé leur matériau ou leur provenance, souvent liée à des fouilles archéologiques. Les notices d’œuvres valorisent essentiellement deux aspects majeurs des bijoux : leur esthétique et leur technique. Leur remarquable état de conservation peut aussi être mis en avant. 

Les matériaux influencent significativement les prix d’adjudication. L’or, matériau précieux par excellence, atteint des sommets avec une moyenne de 131 francs par bijou. Par ailleurs, la technique, l’iconographie et la provenance d’un bijou en augmentent la valeur. Ces éléments apportent une plus-value esthétique ou une garantie d’authenticité entraînant des prix supérieurs en moyenne de 30% quand le bijou possède une technique particulière7, de 14% quand il porte une iconographie, et de 46% lorsque sa provenance est mentionnée.

La rareté d’une typologie peut par ailleurs décupler sa valeur. Les médaillons et les diadèmes, qui ne sont respectivement représentés que par douze et vingt-deux lots au sein des ventes d’antiques, recueillent les prix d’adjudication les plus élevés. Les autres typologies, plus courantes sur le marché, sont acquises à des prix plus modiques.

Quelques ventes emblématiques

La vente Durand (1836), qualifiée de “vente du siècle”, demeure emblématique en raison du volume exceptionnel de bijoux mis en vente8, offrant une visibilité inédite à ces objets (fig. 2). Le British Museum et le Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Royale, acquièrent plusieurs lots, témoignant de l’intérêt croissant des institutions pour cette catégorie d’objets9.

 

Figure 2. Nombre de lots de bijoux par vente d’antiques entre 1827 et 190010

Plus tard, les années 1860 marquent un tournant pour l’entrée des bijoux dans les collections muséales avec deux acquisitions majeures : celle du duc de Luynes par le Cabinet des Médailles en 1862 et celle de la collection Campana qui entrera au Louvre en 186311. L’intérêt grandissant pour ces objets se reflète aussi dans deux ventes importantes : celle d’Alessandro Castellani en 1866 et la vente Raifé en 186712. Les Castellani, célèbres orfèvres, avaient restauré des bijoux de la collection Campana et produit des copies de pièces antiques13. La vente Castellani contribue ainsi à la reconnaissance des bijoux antiques comme objets d’étude à part entière14. Quant aux bijoux de la vente Raifé, ils séduisent par leurs prestigieuses provenances archéologiques : Herculanum, Tortose, Panticapée et Athènes15.

Les salles des ventes constituent des lieux de transit pour les bijoux antiques, qui peuvent réapparaître à plusieurs reprises sur le marché. Un exemple significatif est celui d’une couronne en feuilles d’or, aujourd’hui conservée au Cabinet des Monnaies, Médailles et Antiques de la Bibliothèque Nationale de France (fig. 3). Initialement acquise lors de la vente Durand en 1836 par le comte de Pourtalès-Gorgier pour la somme de 121 francs, cette pièce est remise sur le marché à la suite du décès du collectionneur. Lors de la vente Pourtalès-Gorgier en 1865, elle est adjugée pour 200 francs au numismate Alfred Armand, qui s’en sépare à son tour au profit de Prosper Valton. En 1907, la veuve de ce dernier en fait don au musée. Cet exemple illustre bien le rôle de plaque tournante du marché de l’art parisien au XIXe siècle et met également en évidence la variabilité de la valeur des bijoux antiques.

Figure 3. Couronne de feuilles d’or, IIIe siècle-IIe siècle avant notre ère, BnF, Cabinet des Monnaies, médailles et antiques, inv.56.267

Les adjudicataires : marchands, collectionneurs et musées

L’analyse des adjudicataires met en lumière une prépondérance des marchands d’antiquités, suivis des collectionneurs des musées sur le marché des bijoux antiques (fig. 4).

Les marchands Rollin (père et fils) totalisent près de cent-neuf lots acquis sur sept ventes aux enchères, imposant leur quasi-monopole sur le marché. Moins significatifs, les marchands Serrure, Louis-André-Hyacinthe de Bruges et James Millingen acquièrent chacun une dizaine de lots.

Les collectionneurs sont issus de milieux variés incluant des financiers, des hommes politiques (Charles de Montigny, Charles André Joseph de Paravey), des artistes (Alfred Armand, Augustin Quantinet), ou des numismates (Lucien de Hirsch, Henri Hoffmann).

L’acquisition d’objets sur le marché de l’art constitue l’une des principales voies d’enrichissement des collections muséales. Des conservateurs comme Léon de Laborde (Musée du Louvre) et Désiré Raoul-Rochette (Cabinet des Médailles) participent activement aux ventes et permettent d’intégrer des bijoux antiques dans les collections publiques16. Les institutions étrangères ne sont pas en reste, comme en témoigne l’achat par l’archéologue Peter Oluf Brøndsted (1780-1842) de sept lots de bijoux provenant de la collection Durand (1836) pour le British Museum.

Figure 4. Les adjudicataires de bijoux antiques de 1836 à 190017

 

Longtemps négligés, les bijoux antiques occupent ainsi une place discrète dans les ventes aux enchères du XIXe siècle. Leur faible représentation et leurs prix modestes contrastent avec d’autres catégories d’antiques plus prisées. Cependant, certaines ventes marquantes, comme celles de Durand (1836) ou Castellani (1866), contribuent à leur valorisation. L’intérêt croissant des marchands, musées et des collectionneurs démontrent la persistance d’un marché, favorisant leur intégration progressive dans les collections publiques.

Louise Collet

 

  1. Les neuf catégories d’antiques citées sont les vases, les momies/sépultures, armes, jouets et sports, sculptures, peintures et mosaïques, bijoux, mobiliers/instruments, textiles. Source : datavisualisation Sur la piste des œuvres antiques. []
  2. Cette étude a fait l’objet du mémoire d’étude de l’École du Louvre Les bijoux antiques dans les enchères parisiennes au XIXe siècle de Louise Collet sous la direction de Cécile Colonna et Néguine Mathieux en 2024. Tous les graphiques et datavisualisations de ce billet proviennent de cette étude. []
  3. Ce graphique repose sur le relevé systématique des notices de bijoux issues des catalogues de vingt-six ventes : les ventes Denon (1827), Durand (1836), Beugnot (1840), Linck (1844), Dubois (1847), Covillard (1849), Quatremère de Quincy (1850), Bourgeois-Thierry (1855), Peretié (1856), du 1er juillet 1857, Pourtalès-Gorgier (1865), Castellani (Alessandro) (1866), Raifé (1867), des 3 et 4 mai 1869, Piéridès (1873), de la princesse Belgiojoso de Milan (1879), Couris (de) (1879), La Béraudière (Comte de) (1885), Hoffmann (1889), des 21 et 22 mars 1890, Piot (1890), des 20-21 mai 1892, Hoffmann (1897), Luneau (1898), Hoffmann (1899), des 9 et 10 novembre 1900. []
  4. Coche de la Ferté, Étienne, Les bijoux antiques, Paris, Presses universitaires de France, 1956, p.97. []
  5. Fontenay (de), Eugène, Les bijoux anciens et modernes, Paris, Quantin, 1887, 520 pages. []
  6. Roger-Milès,Léon, La bijouterie, Paris, Hachette et Cie,1895, 278 pages. []
  7. Sur les ventes étudiées, les techniques les plus présentes sont le repoussé (24 lots), le filigrane (17 lots) et la gravure (18 lots) ; viennent ensuite la granulation (8 lots), la ciselure (3 lots), les chaînettes (2 lots). []
  8. Garnery, Lucille, La vente Durand de 1836, Les ventes d’antiques en France au XIXe siècle, Hypothèses, France, Publié le 10/08/2022. []
  9. Le British Museum par l’intermédiaire de Peter Oluf Brøndsted acheta 7 lots de bijoux (lots n°1984, n°1988, n°2066, n°2067, n°2068, n°2110, n°2175) tandis que le Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Royale représenté par Raoul Rochette fit l’acquisition de 11 lots (lots n°2077, n°2130, n°2148, n°2149, n°2152, n°2165, n°2168, n°2169, n°2197, n°2201, n°2211). []
  10. Ce graphique repose sur le relevé systématique des notices de bijoux issues des catalogues des vingt-six ventes d’antiques dépouillées. []
  11. Trésors antiques : bijoux de la collection Campana [exposition, Paris, musée du Louvre, 21 octobre 2005 au 16 janvier 2006], sous la direction de Françoise Gaultier et Catherine Metzger, Milan, 5 Continents, et Paris, Musée du Louvre éditions, 2005, p.78. []
  12. Lavieille, Paul, La vente de la collection Raifé : l’organisation et le moment de la vente, Les ventes d’antiques en France au XIXe siècle, Hypothèses, France, Publié le 25/02/2025. []
  13. Un rêve d’Italie. La collection du marquis Campana [exposition, musée du Louvre, 7 novembre 2018 – 18 février 2019], sous la direction de Françoise Gaultier, Paris, LienArt ; Louvre éditions, 2018, p.201. []
  14. I Castellani e l’oreficeria archeologica italiana, [exposition, Museo Nazionale Etrusco di Villa Giulia, 11 novembre 2005 – 26 février 2006], Rome, L’Erma di Bretschneider, 2005, p.253. []
  15. Voir dans le catalogue de la vente Raifé (1867) : pour les lots provenant de Tortose les n°749bis (Or. Paire de boucles d’oreilles en anneau tordu, terminé par une tête de lion. Provenant de la nécropole de Tortose.) et n°749ter (Or et cornaline. Paire de boucles d’oreilles, en anneau terminé par une tête de lion. Provenant de la nécropole de Tortose.) ; pour ceux en provenance d’Herculanum le n°768 (Or. Deux petites colombes, provenant de boucles d’oreilles. Trouvées à Herculanum.) ; pour ceux de Panticapée les n°790 (Or. Petite fibule, décorée d’un lion ailé, couché. Provenant d’un tombeau de Panticapée.), n°799 (Or. Seize bractéates destinées à être cousues sur un vêtement, les unes représentant des flots, les autres des dauphins. Provenant d’un tombeau de Panticapée.). Athènes est également représentée avec le lot n°811 (Or. Anneau, décoré, en guise de chaton, d’un masque en relief de Silène, couronné de lierre, du travail le plus fin. Provenant d’un tombeau d’Athènes.). []
  16. Léon de Laborde acquiert neuf lots de bijoux lors de la vente Dubois (1847). Désiré Raoul-Rochette participe également aux ventes Durand (1836), Canino (1843), Révil (1845) et Dubois (1847). []
  17. Cette datavisualisation se base sur le relevé des noms d’adjudicataires présents sur les procès-verbaux des vingt-six ventes étudiées entre la vente Denon (1827) et la vente des 9 et 10 novembre 1900, traité par le logiciel GitHub. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Louise Collet (7 avril 2025). Les bijoux antiques dans les ventes aux enchères parisiennes au XIXe siècle. Les ventes d'antiques en France au XIXe siècle. Consulté le 13 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13oyb


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