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1855, une année en salles des ventes (4). Les acteurs.

Les acteurs des ventes de 1855.

La lecture des procès-verbaux des ventes permet d’identifier une galaxie de personnages qui peuvent être répartis en trois grandes catégories : 

  • Les organisateurs de la vente, comprenant les membres de l’étude et leur personnel
  • Les vendeurs, personnes privées ou mandataires
  • Les acheteurs ou adjudicataires

Il est nécessaire de souligner d’une part la flexibilité des rôles, puisqu’un individu peut au cours d’une même vente se retrouver dans les trois positions, et d’autre part l’omniprésence des marchands à tous les stades de la préparation et du déroulé de la vente.

Le procès-verbal nous indique quelques rôles essentiels : celui du commissaire-priseur, évidemment, mais également ceux du déclarant et des deux témoins requis par la loi. Ces rôles sont assumés dans la majorité des cas par les clercs du commissaire, avec une alternance entre les deux ou trois employés principaux de l’office, tantôt déclarant, premier témoin ou second témoin. Viennent ensuite les requérants, ceux qui ont demandé l’organisation de la vente. Il s’agit souvent des propriétaire des objets, mais parfois également de mandataires quand la vente se fait au bénéfice d’une tierce personne. Ce rôle de mandataire échoue régulièrement à un membre de l’étude. Enfin, la litanie des adjudications par lots offre le nom des adjudicataires, autrement dit des acheteurs-acquéreurs pour lesquels il n’est pas possible de faire de distinction sans source supplémentaire. 

Les procès-verbaux permettent également d’identifier toute une galaxie de personnages qui entourent les ventes : les experts, les « hommes de peine », comme sont désignés les personnels chargés du transport et de la manutention, mais également des personnes insoupçonnées, comme cet étudiant chargé de garder un appartement dont le contenu est mis en vente, ou ces deux “gardiennes du scellé” pour deux maisons adjacentes, mises en vente aux 41 et 42 de la rue Bonaparte, lors de la vente Veuve Grillon à la requête du caissier Jean Pierre Roberty, le 16 juin 1855, chez Pouchet. Le détail des comptes de cette même vente, ici partiellement retranscrit (fig. 1), indique également la complexité des rétributions, entre traitements, prélèvements et taxes : sur les 2570 francs, 1892,25 francs vont effectivement aux ayants-droits, 128,50 francs à l’étude. Le reste est ainsi divisé entre les charges, réparti entre les propriétaires et les études. Il est à noter que si la publicité de la vente – affiches, annonce – est une obligation légale, le catalogue ne l’est pas et qu’il relève donc d’une volonté soit du commissaire-priseur soit du requérant. Le choix de la diffusion du catalogue relève lui aussi de la stratégie de vente voulue par l’étude ou le vendeur : envoie gratuit aux professionnels des musées, comme pour la vente Collot chez Pouchet, ou vente par des distributeur spécialisés (libraires, marchands-expert…). 

Visualisation de la répartition des comptes de la vente du 15 juin chez Pouchet

fig. 1

Cette multiplication des acteurs qui bénéficient des ventes est un trait connu et dénoncé, voir moqué, par les commentateurs de l’époque, à l’exemple de Charles Letellier. Il dénonce ce “parasitisme” dans sa parodie Vente à la criée, scène comique  jouée en 1839 au Palais-Royal, et retrouvée par Léa Saint-Raymond (op. cit. p. 127), dans laquelle une jeune modiste vend ses effets personnels à l’hôtel Bullion mais lorsque le crieur lui annonce ses gains ceux-ci sont tellement grevés par les droits à verser aux uns et aux autres (commissaires, crieurs, porteurs, emmagasinages et des frais fictifs “des pauvres”, “généraux”…) que celle-ci se retrouve à devoir 20 francs à la caisse.

L’identification des différents acteurs et de leurs fonctions lors des ventes permet de mieux comprendre l’organisation des études et leur fonctionnement.

L’organisation des études

Organigramme de la répartition dans les études

fig. 2

Commençons par l’organisation et la composition des études ou offices (fig. 2). Elles sont dirigées par les commissaires priseurs, en ce cas Pouchet, Bonnefons et Pillet et Delbergue. Mais autours d’eux gravitent toujours trois personnages :

 Chez Pouchet :

  • Ernest Lecointe
  • Eugène Pillardeau
  • Victor Fratin
    • Parfois Théodore Daunis

Chez Bonnefons-Pillet

    • Pillet sous Bonnefons
  • Eugène Félix Crochart
  • Charles Hurault
  • François Marie Lasquin
    • Auguste isidore Doré (seulement janvier-février 1855)
    • Joseph Anasthase Raulin (à partir d’avril, omniprésent)
    • +témoins ponctuels

Chez Delbergue ( plus diversifiée qu’autres études, étude moins importante dès le départ)

  • Ferdinand Benard (104)
  • Louis Auguste Brunet (26)
    • témoins ponctuels : Emile Chastel (9), Honoré Saillant ou Vaillant (3);Jean Bruley, Charles Exmelin, Henri Bureau, Hippollyte Saignier. 

Leurs noms sont inscrits sur les procès-verbaux en tant que témoins, car il y a deux témoins par vente ; il s’agit certainement dans la plupart des cas des clercs de commissaires priseurs : on le voit avec Pillet, qui travaille pour Bonnefons avant de reprendre l’étude en conservant inchangée l’organisation du personnel.

Le plus étonnant est de constater dans bien des cas que ces membres de l’étude sont également mandataires à plusieurs reprises de collectionneurs privés : Pilardeau peut représenter plus d’une quarantaine de propriétaires pour des ventes d’effets mobiliers. Ce sont les “ventes composées”, par association de plusieurs fonds privés : 12 ventes Pilardeau dans ce cas.

Enfin, dans bien des cas, ils sont aussi les requérants et propriétaires. Cela est encore une fois plus visible chez Pouchet avec 3 ventes Lecointe, 3 ventes Fratin, et 4 ventes Pilardeau.

Chez Bonnefons, on compte 11 ventes Crochard et 4 ventes Hurault.

Chez Delbergue 9 ventes Benard.

Donc, à l’exclusion des ventes où ils sont désignés comme mandataires, ces cinq individus membres des offices sont à l’origine de 34 ventes à eux-seuls. Nous ignorons les circonstances de ces ventes, mais il paraît évident qu’il ne s’agit pas de leurs propres biens : où ils se comportent, à titre individuel, comme des marchands en rachetant des fonds, ou bien ils le font au nom de l’office, qui se transpose alors comme une véritable maison de vente plus que comme une simple étude de commissaire-priseur. 

Toutes les hypothèses sont ouvertes, car il est également intéressant de constater la régularité de ce type de vente après d’autres ventes très importantes : il pourrait dans certains cas s’agir de reliquats ou d’une commission d’ordre matérielle (pour faire passer cela sous le radar de la chambre des commissaires ?). Par exemple, Ernest Lecointe met en vente le reliquat de la vente Hope, à la même adresse que celle du collectionneur, parfois le lendemain des sessions. Autre exemple, Eugène Félix Crochart met en vente des objets d’art et peintures “lui appartenant”, dixit le procès verbal. 

Il faut donc considérer un certain nombre de cas un peu opaques où l’étude joue un rôle de marchand, et d’autres cas où les membres des études sont eux-mêmes des marchands, davantage que des collectionneurs. Difficile de le prouver dans bien des cas, car il faudrait reprendre le détail.

Il y a une certaine opacité dans le rôle fondamental joué par les membres de ces offices, tantôt simples déclarants et témoins comme co-organisateurs avec le commissaire-priseur, tantôt requérants, en leur nom ou en tant que mandataires, sans que cela soit toujours bien précisé. 

Il y a deux types de ventes récurrentes : les ventes où une personne de l’ études est le requérant et dont la vente porte le nom (vente Crochard, vente Pilardeau) et les ventes de marchands-experts (vente Febvre, Roussel) ce qui trouble parfois l’identité véritable du propriétaire initial des biens : nous pouvons émettre la possibilité, dans certains cas, que les requérants servent de prête nom pour des propriétaires souhaitant demeurer parfaitement anonymes. 

Le rôle des marchands 

Graphique portant sur la répartition des ventes par type de requérants

fig. 3

Car nous devons souligner ici le rôle fondamental des marchands. Dans chacune des trois études, nous retrouvons un grand nombre de vente à la requête d’experts ou marchands (fig.3), souvent portant les deux fonctions : 

Chez Bonnefons-Pillet : 

  • 22 vente Alexis Febvre (tableaux arts graphiques), nommé “appréciateur” sur les procès-verbaux, plus une vente chez Pouchet
  • 3 ventes Cousin (tableaux)
  • 5 ventes Defer, plus une vente chez Delbergue, et une chez Pouchet
  • 3 ventes Pierre Roussel, objets d’art et antiquités

Chez Delbergue

  • 5 vente Vignères, marchand d’estampes et d’objets d’art
  • 4 ventes Achille François, peintre expert (peintures / arts graphiques)
  • 1 vente Hoffmann de monnaie (monnaies)
  • 3 ventes Le Blanc, peintre-expert (peintures / arts graphiques)
  • 3 ventes Aubry, libraire
  • 2 ventes Rollin, de la célèbre maison Rollin et Feuardent (médailles)
  • 2 ventes Gihauts “marchands d’estampes’ après la mort de son frère

Chez Pouchet

  • 10 ventes Francis Petit,  expert en tableaux et arts graphiques
  • 6 ventes Ferdinand Laneuville, expert en tableaux
  • 4 ventes Claude Schroth, expert en tableaux et estampes
  • 3 ventes Adolphe Couteaux, expert-marchand, pour des tableaux modernes
  • 2 ventes Mannheim, expert en objets d’art

Pour ces seules ventes récurrentes d’une sélection de marchands et experts, bien souvent experts et associés à la rédaction des catalogues d’autres ventes, nous aboutissons à un total de 78 ventes, à cela s’ajoute les successions de marchands, comme la vente Escudier ou la vente Joyau chez Pouchet. 

Il y a également beaucoup de ventes occasionnelles : 1 vente Delange chez Pouchet, 1 vente Jacob, marchand chez Bonnefons. À cela s’ajoute les ventes à la requête de marchands de collections privées ou de cabinets, à l’image de la vente des estampes du cabinet Norblin, à la requête du marchand expert Guichardeau, le 5 février 1855 chez Delbergue.

Cela explique que dans nombre de cas, le nom du catalogue de vente ne corresponde pas au procès-verbal, et que nous ayons des ventes, comme celle du cabinet Barre en 1878, qui soient en réalité effectuées au seul profit d’un marchand ayant acheté préalablement l’intégralité d’une collection.

Au total, ce sont donc plus de 25% des ventes publiques (fig. 3) qui sont organisées à l’initiative et au profit d’un marchand, qu’il soit établi en  galerie ou simple expert. L’analyse des acquéreurs dans les procès-verbaux indique la même chose : au sein de l’ensemble des ventes explorées en détail pour le XIXe siècle, leur rôle est prééminent dans l’achat des antiquités, et le constat est également vrai pour les autres catégories comme L. Saint-Raymond l’a montré pour l’achat des tableaux, dessins et sculptures en 1875 (op. cit. , p. 288).

Graphique avec la répartition de l'ensemble des ventes par requérants

fig. 4

Au total, ce sont donc au minimum un tiers des ventes aux enchères qui s’effectuent, organisées et au profit des études et des marchands, au sein de ce microcosme (fig. 4). À cela s’ajoutent les ventes, en dehors des ventes artistiques, de marchands de biens meubles (cannes, parapluies…), en premier lieux les ventes issues de l’association entre Pouchet et Salvador Chéri pour les chevaux et voitures : pas moins de 37 ventes sur l’année, ce qui porte l’ensemble à 44% des ventes. 

Cette proximité entre les acteurs, qui travaillent ensemble dans de nombreuses circonstances, contribue à expliquer la méfiance qui s’est établie à l’encontre du milieu des marchands et commissaires priseurs, de la part du grand public, et que des pratiques de collusions, relayées par les journaux. 


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Camille Nerestan (19 mai 2022). 1855, une année en salles des ventes (4). Les acteurs. Les ventes d'antiques en France au XIXe siècle. Consulté le 15 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/v67t


Camille Nerestan

Vacataire à l'INHA.

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